mercredi 14 octobre 2015

A une semaine de...

La parution de DAHO-L'HOMME QUI CHANTE, petit temps de pause pour jouer à l'interview ping-pong, entre David et moi.
Un bar pas trop bruyant, un verre de vin, un magnétophone au milieu de la table, et David lance la première question...




DC - Bon alors, qu’est-ce qui t’a pris de dire oui ?

A - Tu me parlais de cette idée depuis un moment, et depuis vingt ans que j'écoutais Daho, souvent en dessinant, j’avais l’impression d’en avoir imprégné certaines de mes images... ça avait du sens, de venir dessiner « avec » lui. Et puis j'avais envie de partager, à nouveau, un livre avec toi. Quelque chose d’atypique… Tout ça me semblait d’excellentes raisons de s’embarquer, sans réfléchir plus.
Et toi? Tu pensais que ça prendrait de telles proportions, ce livre?

DC - C’était vraiment un saut dans l’inconnu, que ce soit sur le plan personnel, comme sur le plan professionnel. Je n’ai jamais été très convaincu par le fait qu’il fallait à tout prix rencontrer les gens dont on admire le travail, dont l’oeuvre nous a marqué. Je pense que ça peut vite être très embarrassant pour tout le monde. Mais là, on arrivait avec une démarche professionnelle, un vrai projet, suivre l’enregistrement de cet album et le raconter en bande dessinée… On était loin, bien sûr, de se douter que ça allait nous mener si loin et durer trois ans…
Tu te souviens de la première fois qu’on est allés à Londres ?

A - On faisait pas trop les malins, en descendant du Shuttle, avouons-le maintenant... Je me souviens des 5 minutes passées en bas de son immeuble, devant ces trois interphones sans noms, à se demander sur lequel appuyer. Et puis, on venait avec la certitude qu'il faudrait lui présenter notre projet, le convaincre. On pensait que ce premier rendez-vous ferait office d'examen de passage... Avant de s'apercevoir que, pour lui, c'était déjà ok, qu'on pouvait commencer. Il avait déjà « adopté » le livre...
Et pour toi, cette première à Londres?

DC - Alors comment dire ? Si on m’avait dit, trois mois plus tôt, que je me retrouverais un jour assis dans un canapé à côté d’Etienne Daho, en train de boire un thé et écouter en exclusivité les maquettes de son futur album… Cette première rencontre était très impressionnante, mais finalement, elle a été à l’image de tout ce qui a suivi, simple, presque évidente. On ignorait alors que c’était la première d’une longue série de traversées souterraines de la Manche. La suivante nous emmènerait au Studios, qui ont vu défiler de nombreux chanteurs et où Bowie enregistra rien moins que Ziggy Stardust…
Là encore, on était en clandestins. C’est comme ça que je l’ai ressenti, en tout cas. Pas toi ?

A - Clandestins. C'est marrant, comme idée. Oui, il y avait un peu de ça, c'est vrai. Et en même temps, ni Etienne ni aucunes des personnes rencontrées sur cette période, ne nous ont jamais fait nous sentir "intrus". Il y a toujours eu beaucoup de bienveillance et de curiosité, vis à vis de notre démarche... Même si je voyais bien qu'ils ne saisissaient pas toujours ce que foutait ce grand couillon avec son carnet à la main, dans un coin du studio, en train de dessiner à toute berzingue...
La grande difficulté, sur la durée, ça aura été quoi, pour toi?

DC - Trouver la bonne distance. On fait un livre de 150 pages sur la vie d’un disque, sa conception, son enregistrement, sa sortie, sa promotion, la tournée qui le fait ensuite exister… On doit raconter tout ça, à des gens qui connaissent et aiment l’album en question et Daho… Et à d’autres qui ne connaissent pas ou n’aiment pas particulièrement, mais ont quand même la curiosité de lire le livre… Et il faut que ça garde le même intérêt pour les deux. C’est un drôle d’équilibre à trouver. Même chose pour les gens qui connaissent bien la musique et ceux qui ignorent tout de la manière dont elle est « fabriquée ». Il faut que les deux y trouvent leur compte.
C’est ce que j’ai gardé en tête tout du long de la réalisation du livre et qui m’apparaît comme le plus difficile.
Et toi, à part me supporter ? Quel était le défi graphique ?

A - Te supporter, je le fais depuis quinze ans. S'il avait fallu craquer, ça aurait eu lieu depuis longtemps. 
Graphiquement, Le gros défi c'était de parvenir à représenter les protagonistes, Etienne en tête, sans tomber ni dans le  photographique figé, ni dans le trop caricatural. Pas simple de dessiner quelqu'un comme Daho, avec son faux air de Peter Pan sans âge... L'autre défi, c'était de traduire en quelques cases ces moments qui duraient parfois une journée complète. Trouver le ton juste pour faire, graphiquement, le tour de tout ce qu'il y avait à dire dans chaque séquence. Enfin, je voulais trouver une manière de "dessiner" la musique. De traduire en dessin l'énergie que ça diffuse, la musique. Je ne pouvais pas me contenter d'un procédé anecdotique comme on le fait quand on doit juste signifier qu'un poste radio marche en fond de décor... Traduire ces vagues...
Ton meilleur souvenir de tout ça, c'est quoi?

DC - J’en ai deux, et il est difficile de les hiérarchiser. Le premier, c’est cette fois où nous étions dans les loges du Grand Journal et où nous avons vu Etienne et échangé quelques mots avec lui. C’était la première fois qu’on le revoyait depuis son gros problème de santé qui a failli mal se terminer, et qui a reporté la sortie du disque et la tournée. Le retrouver vivant, souriant et en bonne forme, c’était comme un soulagement.
Le second, c’est le jour où nous sommes venus assister aux répétitions et où on en fait assisté à un véritable concert privé d’Etienne et de l’ensemble du groupe, puisqu’ils devaient faire le filage entier des titres de la tournée. On était là, vautrés sur des canapés, à assister quasi intégralement au concert, comme les deux privilégiés qu’on était, et ça semblait presque… Normal ! Un moment inoubliable…
Tout autre chose, la couverture, tu as longtemps tourné autour ?

A - Etrangement, non. J’ai su assez vite que je voudrais quelque chose de sobre et simple. Depuis le départ, je considère ce livre, et toute cette aventure, comme un voyage dont je tiendrais un journal dessiné. D’où ce traitement au crayon, dans l’album, qui rappelle celui que j’utilise souvent dans mes carnets. Un journal de route, donc, dont le profil en couverture évoquerait un continent…
Qu’est ce que tu retiens, aujourd’hui, de cette drôle d’aventure ?

DC - Que ceux qui disent qu’il ne faut jamais chercher à rencontrer les gens dont on admire l’œuvre ont parfois totalement tort.
Et toi ?

A - L’énergie positive et communicative que dégage Etienne. Quand on le quittait, je me sentais serein et gonflé à bloc.

DC – tu m’aimes encore ?

A – Un peu plus qu’hier, bien moins que demain.